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#8 - Enseignement à distance au temps de la Covid

Sortir des murs | 24 novembre 2020 | Angela Mancipe

La situation sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19 a amené beaucoup de métiers à se restructurer et à fonctionner différemment, au moins temporairement.  L’enseignement musical au sein des ADEM n’a pas fait exception : plusieurs de nos professeur.e.s ont mis en place des cours à distance, ce qui a impliqué une réorganisation de leurs enseignements et un grand investissement technique et personnel. Ethnosphères Magazine partage avec vous le témoignage de trois d’entre eux.elles et le bilan qu’ils.elles tirent de cette expérience.

 

Maya Quiminal, professeure de danses Bollywood et danses des Orients. Photo : Priscilla Spreafico

 

À l’instar d’autres institutions culturelles et artistiques en Suisse et ailleurs, les ADEM ont été contraints de fermer leurs portes pendant la phase de confinement au printemps de cette année en raison de la crise sanitaire liée à l’épidémie de la Covid-19. Ce contexte singulier a engendré de multiples annulations ou reports au sein de la programmation musicale. La situation a également affecté le déroulement des cours, des ateliers et des stages autour des musiques et danses traditionnelles du monde qui se tiennent régulièrement dans les locaux des ADEM. Nombre d’entre eux ont dû être suspendus temporairement.

En cette période inédite et délicate, plusieurs de nos professeur.e.s ont néanmoins su faire preuve de créativité et d’adaptation afin de continuer à donner leurs cours, cette fois-ci à distance. Au moyen de différentes plateformes et applications numériques, telles que Skype, Zoom et Whatsapp, parmi d’autres, et malgré d’inévitables difficultés techniques, ils ont réussi à maintenir le lien avec leurs élèves et à continuer à partager leur expérience avec passion.

Trois de nos professeur.e.s ont livré leur témoignage sur cette expérience : appréhensions, défis relevés, avantages et inconvénients font partie du bilan qu’ils.elles en tirent. Nous abordons également en ces lignes la situation actuelle liée à la deuxième vague de la Covid-19. Comment les professeur.e.s ont-ils.elles réagi à la lumière de l’expérience acquise pendant la première vague ? Comment ont-ils.elles adapté leurs enseignements en fonction des consignes sanitaires et des normes de distanciation physique en vigueur ?

Chacun à leur manière, ces différents témoignages illustrent le concept de résilience, cette capacité humaine à résister, à « rebondir » et à aller de l’avant face à l’adversité.

 

 

VIVIAN'ADAYA
Danses orientale et traditionnelle d’Égypte

Vivian'Adaya donne des cours de danses orientale depuis une vingtaine d’années aux ADEM. Elle l'enseigne à une quinzaine d’élèves, des filles et des femmes âgées entre 9 et 77 ans. L’arrivée du confinement du mois de mars et l’impossibilité de poursuivre ses activités sur place ont amené Viviana à trouver de nouvelles options afin d’assurer une continuité. « Pour moi, il était clair qu’il fallait trouver une solution rapidement. Proposer à mes élèves une alternative pour continuer à danser ensemble était l’une de mes priorités » a expliqué Viviana.

Déjà depuis le premier confinement, la plupart de ses élèves ont joué le jeu. Les cours de danse ont alors pu être partiellement maintenus par le biais de Skype, dans des séances collectives, réunissant virtuellement entre trois et sept élèves. « Danser online » : c’est ainsi que Viviana a appelé ce mode d’enseignement à distance, auquel une petite dizaine d’élèves a adhéré. Certaines d’entre elles vivent actuellement au Mexique ou en Guadeloupe ont même pu reprendre des cours auprès d’elle pendant le confinement grâce à cette alternative. Le salon de Viviana s’est alors transformé en une vraie salle de danse qui accueillait virtuellement des danseuses de tous les niveaux, plusieurs jours par semaine.

 

Viviana Adaya, professeure de danses orientales et danses d'Égypte aux ADEM.

 

 

L’adaptation a été un mot clé pour Viviana pendant cette période. Elle a saisi les circonstances particulières du confinement comme une sorte d’opportunité pour peaufiner certains détails techniques, élève par élève, des détails qui prennent du temps lors de la danse collective, qui privilégie les déplacements dans l’espace et la préparation de chorégraphies. Lors des séances en ligne et malgré la distance physique et géographique, un travail plus approfondi sur la dissociation corporelle ou encore sur les mouvements subtils de bras a pu être abordé, ces derniers étant un moyen d’expression fondamental pour les danses orientales.  

Néanmoins, certains styles de danse requérant un accessoire ont dû être écartés pendant cette période. La danse saidi, par exemple, danse traditionnelle de la région de Luxor qui comporte l’utilisation de la canne, a dû être mise de côté, en raison des limites spatiales chez les élèves.

Ce rendez-vous hebdomadaire a porté ses fruits, puisqu’à l’issue du confinement, Viviana et ses élèves ont élaboré avec les moyens du bord un vidéoclip en mode décontracté qui recueille des extraits de prises vidéo que les danseuses ont enregistrés elles-mêmes durant le confinement. 

 

Actuellement, les cours de danse orientale ont repris dans les locaux des ADEM, suivant les consignes sanitaires en vigueur. Certes, Viviana reconnait que rien ne remplace la présence réelle. Toutefois, elle avoue que cette expérience virtuelle et la réflexion qu’elle a menée sur ces conditions pédagogiques particulières lui ont ouvert la porte à une nouvelle voie de transmission de son art.

 

 

MAYA QUIMINAL
Danses Bollywood et Kalbéliya

Maya Quiminal donne des cours des danses Bollywood et Kalbeliya aux Adem à des femmes entre 17 et 60 ans.

Au début du confinement du mois de mars, Maya Quiminal a songé à une alternative pour continuer à suivre ses élèves pendant le confinement. Elle a alors recouru à l’enregistrement de courtes vidéos, contenant des séquences de danse qu’elle envoyait à ses élèves. À leur tour, ces dernières communiquaient à Maya un enregistrement du travail fait de leur côté.  Or, Maya a vite réalisé que cette méthode n’était pas suffisamment efficace et qu’elle ne motivait pas assez les élèves. « J’ai remarqué une baisse des motivations des élèves au début du premier confinement, en raison de l’isolement et du manque de contact avec les autres danseuses » a-t-elle avoué.

 

Photo : Maya Quiminal

 

Inspirée par d’autres collègues d’Australie, d’Italie et des États-Unis, Maya a commencé à donner des cours par Zoom depuis son atelier. Afin de rendre l’espace le plus adéquat possible, elle a installé de grands miroirs sur les murs de forme telle que les élèves puissaient mieux apprécier les détails du mouvement de tous les côtés, comme dans une vraie salle de danse. Lors d’une séance de cours, Maya dansait dos à l’ordinateur, mais face aux miroirs. 

Durant le premier confinement, Maya Quiminal a dû organiser ses horaires autrement, afin de maintenir ses cours habituels. Le temps de confinement lui a permis de rajouter une nouvelle proposition de cours: une séance online pour débutants de danse Tribal Fusion, une forme de danse urbaine issue des danses traditionnelles orientales, née aux États-Unis dans les années 70.

Maya Quiminal souligne la possibilité de garder le lien avec les élèves comme l’aspect le plus positif de cette forme d’enseignement. Néanmoins, elle insiste sur le manque d’espace dont disposent chez elles ses élèves comme l’un des facteurs principaux qui ont rendu difficile le déroulement des séances virtuelles de danse. Elle ajoute que, grâce à cette expérience, elle a pu constater que l’enseignement artistique en ligne exige l’utilisation de moyens audiovisuels de qualité, autant de la part du professeur que des élèves, lesquels ne sont pas toujours à disposition pour tout le monde.   

C’est pourquoi Maya a repris les cours en présentiel pendant le semi-confinement du mois de novembre, tout en suivant les mesures sanitaires en vigueur. Elle a mis en place un système de tournus d’élèves : quatre danseuses, différentes à chaque fois, viennent en salle de cours pour danser sous sa conduite, pendant que le reste de la classe suit la séance à distance, par Zoom.

Maya s’interroge à propos de l’avenir et des modifications profondes que la présente crise entraînera au sein de l’enseignement artistique et de sa propre pratique. Une sorte de « reconversion digitale » s’impose-t-elle ? Ce n’est pas ce qu’elle souhaite. Toutefois, elle se dit prête à relever le défi de combiner les modalités d’enseignement présentiel et à distance pour faire vivre les danses traditionnelles et populaires de l’Inde, qu’elle aime tant.

Finalement, Maya Quiminal lance un appel pour soutenir la plateforme kalbeliyaworld.com. Ce site web propose des cours en ligne pour venir en aide à des danseuses indiennes se trouvant à l’heure actuelle dans des situations précaires à cause du manque d’élèves. Ces femmes enseignent en effet à des élèves qui viennent fort souvent du monde entier pour se former en Inde, auprès d’elles. La fermeture des frontières et l’interdiction de voyager a dressé de nouvelles barrières.  Pour plus d’infos, cliquez ici.

 

HOSSEIN RAD
Chants et percussions populaires persanes

Hossein Rad enseigne le chant, les percussions (notamment le tombak et le dâyereh) et divers instruments à cordes iraniens (notamment le setâr) aux ADEM à une dizaine d’élèves débutants et intermédiaires, qui ont entre 25 et 60 ans, la plupart étant des femmes.

Face à l’impossibilité d’enseigner en présentiel lors du confinement de mars, Hossein s’est mis lui aussi à l’enseignement en ligne, cela à partir d’avril. Son enseignement a subi alors plusieurs changements, notamment la transformation des cours collectifs en cours individuels.  

 

Photo : Hossein Rad

 

À l’instar des autres professeur.e.s qui ont adhéré à cette catégorie d’enseignement, Hossein tire un bilan positif : grâce aux cours à distance pendant le confinement, le lien entre élèves et professeurs a pu être maintenu. Il signale également que certains élèves ont fait des progrès non négligeables, notamment parce qu’ils.elle pu consacrer davantage de temps à la pratique individuelle. Il note également que cette possibilité a constitué un avantage pour celles et ceux habitant loin de l’arc lémanique, qui ont pu continuer de suivre leurs cours en évitant les déplacements habituels.

Néanmoins, il est clair pour Hossein Rad que cette solution est loin d’être idéale pour l’enseignement musical. Une certaine qualité de travail, notamment en ce qui concerne divers points de « détails », se perd lors des cours en ligne. « La richesse des couleurs sonores, la justesse de l’intonation et la précision rythmique sont des éléments fondamentaux de la pratique musicale.  Les distorsions et coupures sonores fréquentes lors des appels vidéo ont rendu presque impossible un travail minutieux en ce domaine », a-t-il souligné. En outre, les conditions de connexion informatique très fluctuantes favorisent des décalages sonores constants, ce qui rend impossible le jeu simultané à distance.

Enfin, il mentionne que le surplus d’énergie et de travail que ces conditions pédagogiques impliquent pour les professeur.e.s constitue un inconvénient majeur.  « Le contact humain avec les élèves me donne de l’énergie, alors qu’il est épuisant de passer une grande quantité d’heures devant l’ordinateur », a -t-il conclu.

 

 

 

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EN REGARD

 

Cours & ateliers

Pour obtenir plus d’informations sur les cours de danse orientale et d’Égypte pour enfants et adultes proposés par Viviana Adaya, cliquez ici !

Pour obtenir plus d’informations sur les cours des danses Bollywood et Kalbéliya pour adultes proposés par Maya Quiminal, cliquez ici !

Pour obtenir plus d’informations sur les cours de chants et percussions persanes pour adultes proposés par Hossein Rad, cliquez ici !

 

Autres sites web

Pour suivre les activités de Viviana Adaya, visitez son site web : https://www.vivianadaya.net

Pour suivre les activités de Maya Quiminal, rendez-vous sur son site web : www.associationapsara.ch

Pour soutenir les danseuses enseignantes de danses traditionnelles indiennes au Rajasthan, cliquez ici.

 

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