ateliers
d'ethnomusicologie

Lo Còr de la Plana, un groupe engagé

Focus | 26 avril 2021 | Alexis Toubhantz



Lo Còr de la Plana est devenu au fil de trois albums - salués par la critique, les professionnels et le public - l'un des ensembles de référence de la création musicale occitane contemporaine. Constitué de chants religieux, à danser ou politiques, son répertoire apparaît comme un véritable engagement.
Ethnosphères s’est entretenu avec Manu Theron, fondateur et directeur artistique du groupe qui se produira le 6 mai 2021 sur la scène de l'Alhambra, à l'invitation des ADEM. 

--------------

(Propos recueillis par J-Alexis Toubhantz)

 

Manu Theron, les ADEM ont eu la chance de vous accueillir à de nombreuses reprises à Genève, dans des configurations variées, tissant avec vous des liens privilégiés. Un souvenir marquant ?

J’évoquerais volontiers des discussions passionnantes et passionnées avec l’équipe des ADEM et des habitants du quartier des Grottes (quartier dans lequel les ADEM animent un de leurs deux centres musicaux NDLR). A l’époque, en 2015, les Grottes s’étaient dressées contre l’extension de la gare Cornavin qui menaçait de détruire de nombreux immeubles d’habitations et de dénaturer l’esprit du quartier. Le caractère naturellement frondeur des habitants s’était exprimé par une opposition virulente, mais constructive et démocratique, qui avait finalement eu raison des projets des spéculateurs.

Comment reliez-vous cet épisode aux activités du Còr de la Plana ?

J’évoque régulièrement cette anecdote avec mes compatriotes, à Marseille ou ailleurs, comme un bel exemple de mobilisation citoyenne au service d’un quartier, de ses habitants et de sa mémoire. Comme vous le savez, Lo Còr de la Plana tire son nom d’un quartier emblématique de Marseille, celui de la Plaine, en bute lui aussi à la pression des spéculateurs et au phénomène d’embourgeoisement propre aux centres urbains. Lo Còr de la Plana se sent bien sûr très concerné par les combats des habitants du quartier pour la défense de sa mémoire et de son identité populaire. J’ai d’ailleurs composé une chanson spécialement dédiée à ce combat, un chant de ralliement utilisé depuis par les habitants lors de leurs rassemblements publics.

Ce dernier exemple illustre bien la manière dont la vie politique et la sociologie urbaine de Marseille irriguent au quotidien le champ d’investigation et le répertoire du Cor de la Plana… 

En effet, en tant que chanteur, pédagogue et animateur du Còr de la Plana, je considère qu’une partie de mon travail consiste à susciter la prise de conscience par les Marseillais, et plus généralement les habitants des territoires du pays d’Oc, de leur responsabilité vis-à-vis de leur histoire et de leur culture. Cette prise de conscience représente à mes yeux un des leviers nécessaires à l’action politique, et au  combat contre les forces qui travaillent au discrédit et à la destruction de notre culture, éminemment populaire, dans le sens le plus noble du terme. Dans l’atelier de chant provençal que j’anime à Marseille depuis 25 ans, j’expérimente au jour le jour un dispositif ouvert et accessible (3 euros le cours) au service d’un travail de mémoire collectif et intergénérationnel. Avec mes complices du Còr de la Plana, nous cherchons à constituer un répertoire pour les Marseillais, à mettre en valeur les langues du pays d’oc (et plus généralement celles du bassin méditerranéen NDLR), la créativité des habitants et leur imaginaire. Bref, autant d’outils pour accompagner et inspirer des projets associatifs et institutionnels, engagés pour faire émerger une société plus juste et plus solidaire. La récente victoire aux élections municipales à Marseille d’une coalition rose-rouge-verte contre une équipe sortante corrompue et dévoyée nous montre que nos efforts peuvent porter leurs fruits.

Le dernier projet discographique du Còr de la Plana remonte à 2012, avec le désormais fameux disque Marcha !. Un nouvel album est-il actuellement en gestation ?

Avec ses accents anti-impérialistes, anticoloniaux et anticléricaux, Marcha ! met en valeur les chants de lutte politique écrits par des syndicalistes marseillais de « l’époque héroïque » (1848-1871). De nombreux titres de l’album, notamment l’emblématique Le libertat, seront bien évidemment au programme de notre prochain concert à Genève. Mais il est vrai que Lo Còr de la Plana travaille actuellement sur un nouveau projet discographique qui aura comme fil conducteur le boucan, le « bordel », bref les manifestations les plus explosives du bruit et une exaltation de leur caractère subversif ! - tout un programme, jamais très loin d’un projet politique… (rires). Les premières répétitions sont prévues pour l’hiver prochain, l’ensemble devant entrer en studio à l’automne 2021 pour une sortie de l’album au printemps 2022.

----------------

Discographie :

Es lo titre 2002 Nord Sud (épuisé)

Tant deman 2007 Buda / Universal

Marcha ! 2012 Buda musique / Universal

Les deux derniers albums sont disponibles sur les principales plateformes de streaming.

---------------

Pour aller plus loin :

Retrouvez Manu Theron dans un entretien au long cours enregistré par l’équipe du TAP (Théâtre auditorium de Poitiers) en 2013. L’artiste engagé revient sur la vocation du groupe, ses sources d’inspiration ancrée dans l’univers méditerranéen, de Barcelone à Naples en passant par Alger :

 

Un extrait de « Mezzo Voce », émission musicale de Via Stella (la tele Corsa) qui met en scène le Cor de la Plana dans une de leur très belle composition : La Noviòta
(Réalisation : P. Rognoni)

 

Un autre exemple de la curiosité et de la générosité de Manu Theron, en concert avec la merveilleuse chanteuse Françoise Atlan, chère au public des ADEM, et Pierre Laurent Bertolino, vièle à roue, sur le titre A Dio santo, chant traditionnel judéo-espagnol. Extrait d’un concert donné en 2014 à la Cité de la musique Marseille (Prise de vue et montage : Axelle Schatz)

à lire également